Les armées confient toutes leurs images satellites à l'IA de Preligens

Le ministère des Armées va confier l'analyse de la totalité de ses images satellites à l'intelligence artificielle (IA) de la pépite française Preligens. Ce système, déjà utilisé par la Direction du renseignement militaire (DRM), est capable de détecter automatiquement les blindés, les avions ou les navires, et surtout de suivre l'évolution d'un site stratégique.

Les clichés pris par les satellites historiques du ministère seront intégrés, au même titre que ceux de la constellation la plus récente, CSO, dont le deuxième satellite sur trois, CSO-2, est entré en service fin 2020. L'IA peut alerter un analyste humain dès qu'un sous-marin nucléaire quitte un port militaire, ou lorsqu'une concentration inhabituelle de blindés est détectée.

Entre 50 et 100 fois trop d'images pour les analystes

« Cet outil permet aux armées d'accroître leurs capacités de surveillance et de renseignement en traitant le volume croissant de données venant des nouveaux capteurs et en déchargeant les experts des tâches répétitives », explique le ministère des Armées, assurant que « la dispose ainsi d'une plus grande efficacité en matière d'appréciation de situation et de décision ».

La CIA voulait s'approprier Preligens

« Analyser les images est un enjeu crucial, et notre IA génère des alertes dès que des scénarios prédéfinis sont observés », poursuit Arnaud Guérin, dont l'entreprise a subi une tentative de rachat en 2020 par des investisseurs proches de la CIA, avant d'être sécurisée in extremis par des fonds français et européens, dont le fonds du ministère des Armées, Definvest. « Nous allons désormais traiter 100 % des images qui sont acquises par les armées françaises », se félicite-t-il.

Le Point : Votre IA peut-elle détecter les manoeuvres dites de déception, c'est-à-dire de ruse, lorsque l'ennemi essaie de tromper le satellite ?

Notre outil n'est pas magique, il détecte ce qu'on lui apprend à détecter ! À terme, nous pourrions croiser de l'imagerie optique avec de l'infrarouge et du radar pour confirmer que des chars visibles sur une image satellite ne sont pas en carton, par exemple. Et si c'est une centrale électrique qui est surveillée, les données infrarouges permettront de savoir si elle est en production. Idem pour une installation d'enrichissement d'uranium… Quoi qu'il en soit, le résultat est toujours tributaire des données d'entrée, et notre IA permet à l'analyste de passer à l'échelle, car nous gérons très bien les très grands volumes de données.

Dans notre secteur, le brevet n'est pas une stratégie qui marche. La protection de notre propriété intellectuelle impliquerait que nous soyons en capacité de surveiller ce que font nos concurrents, et d'agir s'il y a violation. Or, nous ne pouvons pas toquer chez les agences de renseignements ou chez les industriels américains ! Nous comptons plutôt nous protéger grâce à la discrétion et en gardant notre avance. Nous avons la plus grosse équipe dans le monde occidental aujourd'hui en IA pour le renseignement : nous réunissons plus de 60 ingénieurs et docteurs en deep learning (apprentissage profond, NDLR), 100 % français. Pour le dernier recrutement, nous avons reçu 140 candidatures en deux semaines.

Nous suivons évidemment les règles fixées par les embargos et par le gouvernement français. Mais les restrictions que nous décidons en interne sont beaucoup plus fortes. Nous établissons une liste verte de pays sur la base de données d'ONG sur les régimes démocratiques ou non, ainsi qu'en fonction de nos propres analyses. Nos cibles prioritaires de développement sont l'Europe, l'Amérique du Nord et l'Asie du Sud-Est, et c'est déjà un très beau terrain de jeu.